Ce week-end, des amies sont venues nous rendre visite. A l’occasion de ce mois pieux, nous nous sommes nourries et entre-tenues mutuellement, à travers le jeûne, une marche en commun dans les collines environnantes, un temps de yoga, mais aussi et surtout des prières en commun, des repas et sourires partagés.  Nous nous sommes réunies, l’espace d’un temps, en un même lieu, dans l’Amour de Notre Créateur. El HamduliLlah. Merci à elles. Totale gratitude. Nous avons souhaité que le temps soit suspendu pour vivre à notre façon tels les membres d’une communauté en convergence durant ces jours sacrés de dhoul el hijja, mois de pèlerinage.

En ce jour de l’Aïd el Adha pour nous, et pour prolonger ces instants, l’envie d’une visite des lieux saints se fait sentir. Pourtant, je rêve d’un retour aux sources authentique; je rêve de l’accomplir par voie terrestre. Encore une fois, je semble sombrer dans l’utopie. Mais à Dieu rien d’impossible, Lui le Tout Puissant, le Sage.

Alors, pour me reconnecter à ces moments, je vous partage aujourd’hui un modeste présent : des bribes de mon journal de bord, celui de cette première fois, cette fois où j’ai été invitée à fouler la terre sainte. C’était en juin 2005. 13 ans déjà. Ces lignes sont une simple successions de mots, un texte incomplet tant le ressenti de l’époque me semble indescriptible. Il est aussi dénué d’image. Nul selfie non plus à disposition dans cet article. Nous avions déjà à l’époque fais le choix de n’apporter aucun appareil photo pour vivre chaque moment pleinement. Les souvenirs sont dans nos cœurs et nos cellules.


Cheminer vers l’intemporel et l’éternel

Le temps s’est arrêté. Les petits mots à nos familles se sont envolés tels d’éphémères papillons, porteurs des messages enfouis dans nos poitrines, porteurs de notre foi. Puisse t-elle être immuable. La lumière estivale jaillit des vitres imposantes de la salle d’embarquement, presque vide. A notre gauche, une famille d’origine pakistanaise ou peut être saoudienne, accompagnée de leur baby sitter philippine (sic). L’équipage est en retard ; je prends le petit guide préparé par Talal, frustrée de ne connaître que très peu d’invocations. Chaque visiteur voudrait je crois accomplir son petit ou grand pèlerinage consciencieusement, afin d’en tirer le meilleur profit. Les mots de notre professeur raisonnent en moi : « Ya rabbi karim ! ». Oui une seule invocation peut suffire, celle évoquant la générosité de Notre Seigneur le Tout Rayonnant d’Amour. Cette invocation aurait été prononcée par une nouveau converti lors du pèlerinage de la toute première communauté de l’Islam en 575.  Certes Allah (Qu’Il soit exalté !) est le Très Rayonnant d’Amour.

Nous prenons place à bord d’un avion qui semble affrété seulement pour nous ! Les hôtesses sont élégantes, parées de leur voile bleu marine. Celle qui est aux petits soins pour nous a des traits de Malaisienne, un visage apaisant et radieux, des gestes attentionnés. Tout est destiné à faciliter notre voyage : espace dédié à la prière, indication de la qibla etc. Le commandant de bord prononce l’invocation du voyageur :« Dieu est le plus Grand. Gloire à celui qui a mis tout cela à notre service, alors que, de nous-mêmes, nous n’y serions pas parvenus. Oui, nous nous tournons vers notre Seigneur. Ô Dieu, certes, je Te demande l’acquisition du bien et de la piété dans ce voyage et de raccourcir son long trajet. Ô Dieu, Tu es le compagnon dans le voyage, le lieutenant pour la famille. Ô Dieu, je cherche certainement Ta protection contre les difficultés du voyage, contre une triste vue, contre toute mauvaise destinée dans la fortune et dans la famille. » (Rapporté par Mouslim). C’est le voyage d’une renaissance. Puisse Allah le Très Haut nous le faciliter et l’accepter. Que la paix et la bénédiction soient sur son Messager, le sceau des Prophètes Muhammad.

1er jour : Jeddah- Médine

A l’avion se substitue un taxi pour le voyage Jeddah – Médine. Nous avons manqué le dernier vol. Mais chaque imprévu a ses côtés sympathiques : nous prenons un taxi en compagnie d’une famille réunionnaise. La fatigue s’estompe dans le partage de la foi et le rapprochement des cœurs. Les étoiles et la lune bleutée laissent entrevoir des masses rocheuses sur le bord de la route, et quelques arbustes isolés ça et là.

Nous arrivons pour la prière de fajr, après avoir roulé toute la nuit. La brise est légère, l’atmosphère apaisante. Les croyants se dirigent d’un même pas vers la Mosquée du Prophète (paix et bénédiction sur lui), ombres claires et frêles dont la lumière enveloppe les corps et les cœurs. Les mots manquent, la gorge se serre. Femmes en noirs, femmes couvertes de leurs drapés de coton blanc imprimé, femmes arborant des tissus colorés, femmes de blanc vêtues, femmes indonésiennes, malaisiennes, indiennes et de bien d’autres contrées encore. Nous ne pouvons imaginer quelle doit être l’émulsion spirituelle en période de Ramadan ou de Hajj.

Première prière dans la mosquée,  lieu sublime, lieu chargé d’histoire, hautement symbolique, qui nous transporte au plus près des éminentes figures de ma spiritualité, en particulier du plus inspirant des hommes, le Prophète Muhammad (paix et bénédiction sur lui). Joie, amour intense, sérénité au rendez-vous.

2ème jour : Médine

Je visite la tombe du Prophète (paix et bénédictions sur lui), en compagnie de Farida, la femme réunionnaise avec laquelle nous avons fait le trajet. Sa fille aînée me prête gentiment son livre d’invocation. Je me sens ignorante… Les femmes ont accès au cœur de la mosquée à des horaires déterminés. On s’y sent tellement bien qu’on laisse facilement le temps passer !

« Que le salut soit sur toi, Envoyé de Dieu, Que le salut soit sur toi, Inspiré de Dieu, Que le salut soit sur toi, Meilleur des humains, Que le salut et la Miséricorde de Dieu te soient accordés ! J’atteste qu’Il n’y a de Dieu que Dieu et que tu es Son Serviteur et Son Prophète. Tu as accompli dignement et honnêtement ta mission. Tu as été loyal envers ton peuple. Tu as combattu vaillamment pour la cause de Dieu. Que Dieu te bénisse, ainsi que ta famille, tes épouses et ta descendance et vous accorde, à tous, le plus grand hommage. Amin »

Le flot des pèlerins me porte jusqu’à Ar Rawda. Viens avec moi, ma sœur, et imagine un jardin au Paradis.

3ème jour : Médine

Nous n’avons pas revu la famille de Naguib, notre guide réunionnais rencontré sur la route de Jeddah à Médine ; il partait le lendemain à la Mecque. Il s’agit pour nous de profiter de notre avant dernier jour dans la Ville Illuminée et ses environs. Nous allons viister la mosquée d’Oqba pour la prière de Maghrib. Entourée de dattiers et de palmiers, son architecture est simple, et sa blancheur immaculée. Nous retournons à Médine pour la prière de Icha. Le lendemain, ce sera le grand départ si Dieu veut.

4ème jour : Médine – La Mecque

15h. Nous sommes fins prêts pour la prière de dhor. C’est non sans émotion que je découvre mon mari vêtu de son ihrame. Notre correspondant nous accompagne à la station des bus Safco, la compagnie saoudienne. 5 heures de route nous attendent, avec un stop à Miqat Masjid : là se trouve une imposante mosquée qui délimite la frontière de sacralisation. Nous y prions deux rakâts. Nous en profitons pour faire la prière de ‘asr, mais nos compagnons de route indiens et pakistanais nous attendent ! Oups, nous n’avions pas compris. Heureusement, ils sont patients, de même que le chauffeur, qui semble n’avoir qu’une idée en tête : partir le premier !

Second arrêt avant le coucher du soleil. La zone est désertique, enfin presque, car elle est à mon grand effroi, jonchée de sacs poubelles. Seuls les singes semblent se délecter de ce spectacle de désolation. Hagards, ils nous regardent de leurs yeux ronds et froids tels des billes. Une image me revient à l’esprit : le panneau à l’entrée de la mosquée de Médine : « It is the Muslim duty to keep the place clean ». C’est déroutant. Le bus nous dépose près de la place au cœur d’une rue très animée. C’est parti pour la quête de notre hôtel ! En chemin, les premiers minarets du mahram, majestueux et imposants, se dressent sous nos regards avides. L’enceinte semble être un havre de paix, une enceinte protégée du brouhaha de la ville. Près des immenses portes, place au mélange des cultures : des femmes indonésiennes arborant des foulards blancs brodés aux femmes africaines portant leur bébé sur leur dos, en passant pas de jeunes vendeurs indo-pakistanais. Nous longeons un grand hôtel. Des taxis drivers crient Jeddah ! Jeddah ! Mais non !  Nous arrivons à peine et  n’avons pas encore atteint notre but. La rue monte légèrement. Sur la gauche, nous distinguons les rochers qui entourent la cité. Oui la roche, aussi imposante soit-elle, sera creusée. C’est décrété. Le paysage change vite à la Mecque : les capacités d’hébergement se font rares et sont engorgées par l’afflux sans cesse croissant des pèlerins. En 200, la transformation des alentours du Haram n’est qu’à ses prémices.

La rue est bordée de hanout et de boui-boui ne tous genres : sacs, djellabas, gadgets sans doute importés de Chine, encens et parfums. Les regards presque livides des pakistanais en disent long. Les noms des petits restaurants aux enseignes clinquantes me sont familiers : chicken tikka, kebab, etc. Les petites lanternes et les néons des barbers shops nous ramènent à la réalité : visages et regards sombres, blanches tenues pour des hommes immigrés en quête d’un avenir prometteur. Ils semblent épuisés.

Arrivés à notre hôtel Al Andalousia, le service et l’accueil nous surprennent : le personnel est beaucoup moins agréable qu’à Médine. La chambre est minuscule mais qu’importe. Nous ne sommes pas là pour le confort de l’endroit ; et puis, nous sommes au pied de l’enceinte sacrée, le Haram. Le temps de nous rafraîchir, nous rejoignons la Kaaba dans un discret parfum de musc blanc pour un nouvel envol, à la reconquête de notre fitra, cette nature originelle qui résonner si profondément  en ces lieux. Nous répondons d’une certaine façon à l’appel lancé par Ibrahim (paix sur lui). Nous nous élançons sur les traces de notre ancestrale histoire, happés sur le chemin de l’Amour divin.

5ème au 9ème jour : La Mecque

Lundi soir.  Plus qu’avec des larmes, c’est avec l’appréhension et la joie des invités que nous saluons le sanctuaire sacré. Il s’en dégage une énergie universelle, intemporelle. Je chemine, émue et sereine vers ce cocon, j’ai le sentiment que mon corps, mon cœur, mon esprit pénètrent délicatement au sein d’une Maison suspendue dans les nuages. J’admire la Kaaba qui s’offre à moi, je regarde le ciel, mes yeux parcours l’enceinte. C’est puissant, irréel.

Nous avons la chance de commencer nos circumambulations vers 22h30. Al Hamdoulillah, je pourrais même prier deux rakâts près de Maqam Ibrahim. La fraîcheur du marbre blanc, la porte dorée toute proche… Une sorte de communion émane de ces tours, que tous ensemble nous effectuons : femmes, enfants, personnes âgées, hommes de tout rang et de tout pays. SubhanAllah ! wal Hamdoulillah ! Wa Allahou Akbar

Un trajet symbole d’espoir, de droiture et d’une foi inébranlable en Dieu l’Unique, à l’image du parcours de Hajar (qu’Allah l’agrée) entre Safa et Marwa. Nous L’invoquons à deux, dans l’espoir de vivre en harmonie et unis sur la voie spirituelle  que j’ai choisie. Soudain, trois femmes m’abordent pour leur couper les cheveux, acte rituel que l’on effectue en signe d’expiation des pêchés et de rédemption. Puisse Allah le Tout Rayonnant d’Amour nous pardonner nos pêchés et nous purifier. Amin.

La Kaaba nous entoure de son atmosphère indescriptible. Perchés sur les balcons, nous admirons ces incessantes tournées dans le sanctuaire baigné d’une luminosité apaisante. Cette vision n’a rien d’un mirage. Ici l’atmosphère de la nuit est si particulière…nous avons l’impression que le lieu est à nous, qu’il devient notre refuge. Un lieu unique au monde pour nous musulmans. Le jeudi soir, nous referons une ’omra. On en profite !

Prière du vendredi à la Mecque. La chaleur est étouffante (nous sommes en juillet). Il est à peine possible d’ouvrir les yeux tant la lumière est aveuglante. L’entrée dans la mosquée est un véritable soulagement. Africains chaussés de leurs sandales léopard et vêtus de djellabas bleutées, indonésiennes coiffées de leurs tuniques blanches brodées, jordaniens arborant des toques, tous se retrouvent en masse pour le sermon du vendredi.

Djeddah- Paris

Le samedi, avant notre départ, nous prions le fajr à l’étage, avec l’impression d’une foi renforcée, vécue en totale plénitude. Alors que l’avion du retour nous reconduit auprès des nôtres, je repense au souffle d’Allah qui s’est immiscé en moi pour m’inviter à prendre conscience de Lui, de Sa Présence permanente, en moi, et autour de moi, depuis toujours. Je revis la première prière dans Sa Maison au petit matin. Puis cette déchirure, lors du tawaf d’adieu. El hamdulilLah.

Puisse Allah le Très Haut nous permettre d’accomplir le voyage de notre vie, al hajj. Amin.

Mes sœurs, je vous souhaite une excellente fête. « Taqabalou llahou mini wa minkunna. » »

Idées lecture :